Coutume et droit positif: les conditions de formation du mariage au Cambodge

Par Dr. PRUM Rithy.

Introduction: Le Cambodge est un pays d’Asie du Sud-Est, anciennement dénommé empire Khmer. A l’époque préangkorienne, les frontières du royaume s’étendaient au-delà des limites actuelles : au nord-ouest, l’empire khmer regroupait les provinces du Mon (une nation très proche de la culture khmère et correspondant actuellement au Myanmar), au nord-est le Champa (actuellement Viêtnam du centre) et au sud-ouest le Maliyou (actuelle Malaisie)[1].

La civilisation khmère peut être décrite comme fondée sur un socle religieux solide. Le premier geste du fondateur du royaume khmer a été d’établir son autorité sur une assise religieuse en instituant le culte du dieu-roi[2]. Deux religions ont dominé la vie cambodgienne, le bouddhisme et le brahmanisme. Néanmoins, fait étonnant, ces deux grandes doctrines se sont rarement trouvées en compétition[3]. Ces deux religions ont alors pu tranquillement diffuser leurs valeurs dans la civilisation khmère. La tradition khmère ne s’est pas éteinte au fil des siècles et constitue un fondement du droit khmer ancien. C’est une règle issue d’un usage général et prolongé et de la croyance en l’existence d’une sanction[4] en cas de non-respect de cet usage. Le droit de la famille est en grande partie fondé sur le droit coutumier. 

Selon Carbonnier : « la famille est un phénomène à base de données biologiques, psychologiques, sociologiques – de données naturelles, en somme, que nous livrent de sciences ; mais il a été modelé par le droit, et il est toujours en attente d’être remodelé par une politique législative »[5].Le mot famille n’est défini ni dans la Constitution cambodgienne de 1993, ni dans l’ancien Code civil de 1920, ni dans la loi sur le mariage et la famille de 1989 et n’est toujours pas défini dans le nouveau Code civil de 2007. Ce terme est pourtant utilisé très souvent par les juristes et praticiens du droit cambodgiens. La définition du mot famille reste donc floue et semble appréhendée par les juristes comme une notion protéiforme. Selon le dictionnaire cambodgien[6], la famille ou KROU SARest un groupe de personnes qui ont des liens de parenté parents / enfants, ou grands-parents / petits-enfants et qui vivent ensemble. Dans un autre sens très courant, la famille exprime la structure familiale époux / épouse [7].

Le mariage dans la société khmère est un rouage essentiel de la constitution d’une famille. C’est un moyen de lier entre elles deux familles pour fonder une nouvelle famille[8]. Le mariage se définit comme un contrat solennel contracté par un homme et une femme qui s’engagent à vivre ensemble en respectant la loi et à ne pas dissoudre cette union de leur propre volonté[9]. La définition du mariage ne se trouve plus dans le nouveau Code civil 2007.

Selon la tradition khmère, l’homme doit travailler chez sa future belle famille pendant un certain temps avant de pouvoir se marier[10]. Ce sont les parents de la demoiselle qui décident d’accorder ou non la main de leur fille au prétendant. Cette coutume ne se pratique plus que très rarement mais a façonné le droit coutumier. Certaines conditions du mariage présentes dans la loi écrite actuelle sont inspirées par la coutume, comme la célébration du mariage au domicile de la future épouse. L’étude du mariage civil en relation avec le mariage coutumier[11] va donc se fonder sur la coutume hindouiste-bouddhiste ; institution qui a façonné la coutume cambodgienne. L’étude du mariage implique d’aborder également la naissance et la « fin de vie » du mariage. Cette thématique dépasse néanmoins les ambitions du présent article et sera l’objet d’un article ultérieur dans cette même Revue dont nous célébrons l’avènement aujourd’hui.

Au regard de la loi actuelle, certains points ayant trait à la formation du mariage sont directement inspirés par la coutume (exemple : fiançailles), évoquant un calque de la règle légale sur la coutume. Il nous faudra donc singulariser ces éléments de concordance (II), après avoir mis en lumière les règles juridiques actuelles se départissent de la coutume, que nous dénommerons – certes de façon peu juridique – points d’éloignement (I).

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Pour citer cet article: PRUM Rithy, Coutume et droit positif: les conditions de formation du mariage au Cambodge, Sala Traju Law Bulletin, Phnom Penh, Issue 2, Janvier 2022.